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lunga dins la peirado ! ». Ces voies ont conservé les vieux noms qui servaient à les désigner, drailles, chemins de ramade. Vos travaux, Messieurs, ont servi à faire connaître ces passeries périodiques qui, par les contrats auxquels elles donnaient lieu, n’ont pas peu contribué à mettre en rapport les différents cantons de ces montagnes.

« Mais des relations plus importantes, parce qu’elles répondaient plus manifestement à des besoins réciproques, étaient celles qui s’échangeaient entre le Massif central et les plaines qui le bordent au sud et à l’ouest. L’Auvergne élève des races de bœufs ; le Languedoc, le Poitou ont besoin de bœufs pour leurs labourages. Régulièrement ainsi, vers octobre, arrivaient des pâturages de Salers sur les bords de la Charente les bestiaux que réclamait, sans pouvoir les produire sur ses secs plateaux calcaires, l’agriculture poitevine. Des foires étaient organisées pour correspondre à ces « passages » d’Auvergnats. Ce n’était même pas toujours une ville ou un village qui servaient de rendez-vous à ces transactions. Un pont, un carrefour de routes, quelque endroit désigné et fixé par la tradition, réunissait au jour dit vendeurs et acheteurs. Cela explique la raison d’être d’un certain nombre de lieux-dits qui, sans être habités, subsistent dans la nomenclature géographique. Vides à l’ordinaire, ils s’animent quand vient la date connue et attendue à la ronde. Il y a là sans doute, pour les personnes que touche l’étude des divers phénomènes de groupement humain, un sujet de curiosité et de recherches. Il semble qu’on retrouve dans ces fréquentations intermittentes quelque chose d’analogue à certains pardons de la Bretagne, ou panégyries de la Grèce. En tout cas, l’intérêt qu’il y aurait à recueillir ce genre de lieux-dits mérite d’être signalé à l’attention des hommes d’étude.

« Les montagnes et les pays de sol pauvre fournissaient leurs principaux contingents à l’armée ambulante qui sillonnait les routes de notre pays. L’exercice spécial de quelque métier était une ressource dont on allait se prévaloir dans les diverses contrées où ce talent pouvait trouver son emploi. Plus d’une localité conserve encore dans un attribut incorporé à son nom le souvenir du métier qui était jadis comme sa signature. Du Jura partaient des rouliers renommés pour leur adresse ou leur force ; du Morvan, des charretiers « allaient en galvache » vers les forges du Nivernais ; des muletiers au costume pittoresque descendaient du Vivarais vers la vallée du