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ries au bord du Rhône, au débouché du Languedoc ; elles commencent la fortune de Lyon ; elles animent les villes riveraines de la Saône. On connaît, enfin, ces célèbres rendez-vous de Troyes, Arcis-sur-Aube, Provins, Lagny, où se tinrent, aux XIIe et XIIIe siècles, les principales assises du commerce de l’Europe.

« Mais Paris exerce à son tour une attraction qui va croissant. Au nord de la ville, par les plaines découvertes qui semblent s’étendre sans fin et qui permettent d’éviter le plus possible le voisinage suspect des forêts, court la route des Flandres. Elle se dirige par Crépy-en-Valois, Roye, Péronne, Bapaume. C’est une voie politique autant que commerciale. Par là circule le courant très intense qui, au XIVe siècle, unit de près les turbulentes communes flamandes à la « bonne ville » de nos rois.

« Vers le sud-ouest s’offre un autre aspect du passé. Tours, Poitiers, Saintes, Blaye sont les étapes d’une sorte de voie sacrée. Le long de cette route se succèdent les plus anciens sanctuaires des Gaules : Saint-Martin, Saint-Hilaire, Saint-Eutrope. C’est l’itinéraire que suivent les pèlerins qui vont à Saint-Jacques-de-Compostelle, « le chemin de Saint-Jacques », ainsi que se nomme encore le tronçon de Poitiers à Saintes. Nous avons l’avantage de posséder sur cette route un guide développé, rédigé sans doute au XIIe siècle. Comme c’est un Poitevin qui l’a écrit, on y assiste à l’impression de surprise qu’un Français de langue d’oïl éprouvait à cette époque après avoir passé la Gironde. Déjà, en Saintonge, le dialecte lui paraît avoir « quelque chose de rustique » ; à Bordeaux, le changement est bien plus sensible. Mais il trouve des épithètes de choix pour apprécier « le pain blanc » et « le vin rouge » de la terre gasconne.

« On comprend, en lisant de tels écrits et en voyant ce flot régulier qui amenait sans cesse le long des mêmes routes des voyageurs hantés par les mêmes imaginations, comment certains noms fameux s’y localisèrent : ceux de Charles Martel, de Charlemagne, de Roland. La route était semée de leurs vestiges. Leur souvenir se matérialisait dans tel objet ou telle relique. Ainsi se composait une sorte de géographie légendaire dont les merveilles, répétées de bouche en bouche, se répandaient au loin. Avait-elle pénétré ainsi jusqu’à Domrémy sur les bords de la Meuse ? Toujours est-il qu’entre Tours et Poitiers se trouvait le sanctuaire de Sainte-Catherine où Jeanne d’Arc fit chercher l’épée de Charles Martel.