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chand nous entretiendrait, à la manière de Balducci Pegolotti, des usages des pays qu’il fréquente, des dangers, des précautions à prendre pour assurer sa sécurité. On suivrait volontiers le curieux à l’affût des « singularités », monuments, curiosités naturelles qui, en France, s’offrent en grand nombre sur la route. Ce serait un jour précieux sur un côté de la vie d’autrefois, celui-là même que nos habitudes nous rendent le plus malaisé à comprendre : les modes de voyages ; les mobiles divers qui, suivant les temps et les lieux, poussent les hommes à sortir de leur horizon ; l’esprit qui les inspire dans l’observation du monde extérieur.

« Sous le nom de Gaule ou de France, notre pays a toujours été une contrée de grande circulation. Un fait qui ne manque pas de signification, à cet égard, est que la Gaule avait sa mesure itinéraire propre, la lieue, qui tint bon, même devant le mille romain. Rappellerons-nous cette impression d’un écrivain grec, qui nous peint les habitants s’assemblant sur les routes, aux aguets, pour apprendre et se communiquer les nouvelles ? Il est permis de croire que les qualités de curiosité et de sociabilité dont nos ancêtres faisaient preuve se liaient à des habitudes qui n’étaient pas elles-mêmes sans rapport avec des conditions géographiques de la contrée. Telle est, en substance, l’idée que je voudrais proposer aux réflexions du savant auditoire devant lequel m’est échu le périlleux honneur de parler.

« Il y avait — c’est ce qu’il importe de constater d’abord — de grandes voies traversant la contrée d’une extrémité à l’autre.

« Si l’on combine avec les renseignements fournis par les guides ou itinéraires ce qu’on peut tirer de textes non moins dignes de foi, on distingue bien quelles étaient les principales directions suivant lesquelles circulaient à travers la France des courants de vie générale. Elles sont conformes aux lignes fondamentales de structure de la contrée. Elles n’ont guère varié dans le cours des siècles.

« L’une de ces voies est celle qui, de la Méditerranée ou des Alpes, se dirige vers la Champagne et la mer du Nord. C’est la voie commerciale par excellence. Dès que brille sur notre pays un premier rayon d’histoire, nous voyons par la vallée du Rhône et de la Saône s’acheminer des marchands, s’organiser des corps de bateliers et des services de roulage, se percevoir des péages et, conséquence naturelle, éclater des disputes. Des foires fameuses s’échelonnent sur cette voie de transit : elles s’installent à Beaucaire, sur les prai-