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convenant à d’autres occupations et à d’autres répartitions de travail, se touchent, se rapprochent, se combinent.

« Puis il y a ces vallées, dans lesquelles Karl Ritter signalait déjà un des plus heureux privilèges de notre pays. À travers cette succession de terrains variés, nos rivières ont, en général, assez profondément buriné leur lit pour que les tranches de leurs bords, les sinuosités de leurs méandres, leurs alluvions, aient donné asile à des cultures et, peut-on dire, à une vie différente de celle des plateaux qui les encadrent.

« Ainsi, partout des contrastes atténués, mais vivants. Cette juxtaposition suivie et répétée de pays divers, plaines et montagnes, campagnes et bocages, plateaux et vallées, paraît ici comme un remarquable principe d’influence sur l’homme. Presque partout il a pu voir à sa portée un genre de vie qui n’était pas tout à fait le sien. Il a tiré de ce voisinage une leçon et un profit. Il a trouvé près de lui ce que d’autres sont contraints d’aller chercher au loin, sans la même certitude, avec plus de risques.

« Nous avons aujourd’hui sur nos ancêtres l’avantage de connaître scientifiquement ce qu’ils ne pouvaient percevoir que d’une façon incomplète et empirique. Le relief et le modelé du sol, la conformation géologique, étudiés et figurés sur des cartes à grande échelle, nous donnent la clef de bien des rapports dont on sentait les effets sans en percevoir les causes. Nous tenons enfin ce que Fontenelle définissait, en 1720, par une périphrase singulière : « Des espèces de cartes géographiques dressées selon toutes les manières de coquillages enfouis en terre ». La chimie agricole a fondé ses méthodes, et cela, par une heureuse coïncidence, en même temps que la transformation des moyens de transport affranchissait le sol de la nécessité de se soumettre à des cultures qui lui convenaient peu. On peut dire de ces progrès qu’ils n’ont que mieux mis en lumière l’avantage que la France tire de la remarquable variété de son sol ; avantage qui, si elle sait l’utiliser scientifiquement, sera son meilleur enjeu dans la concurrence économique qui s’est allumée de nos jours. Ils nous ont confirmé dans la conscience de cette vérité : qu’il y a quelque chose de sain et d’équilibré dans la constitution géographique de la France.

« Il y eut un homme, au xvie siècle, qui semble avoir eu l’intuition de ces résultats futurs, et qui vit clair, le premier, dans les variétés du sol français. Ce n’était pas un savant de profession ; il