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geaient les autres. La conception des formes particulières de richesse et de gain qu’ils y avaient puisée les suivait dans les endroits où ils se transportaient. L’importance des événements se mesurait pour eux au degré de trouble apporté dans les habitudes. Cette circulation active se détachant sur un fond resté très local n’est pas une des moindres originalités de la France de jadis.

« Sans doute, en retraçant ce tableau, il ne faut pas oublier qu’il ne peut convenir qu’aux époques paisibles et heureuses ; et notre histoire, on le sait, en a connu d’autres ! Plus d’une fois Jacques Bonhomme a dû fuir les routes livrées aux bandes armées. Nous ne devons pas non plus méconnaître qu’il y avait des parties reculées de notre territoire que n’atteignait pas, ou qu’atteignait peu le mouvement extérieur. De quelques-unes on peut dire encore qu’à peine sont-elles sorties de leur isolement. Dans un mélancolique horizon de landes et de bois, leurs populations étaient restées cantonnées, vivant comme elles pouvaient, chichement ; réduites souvent, pour subvenir aux nécessités de l’existence, à entretenir des étangs, misérable ressource qu’elles payaient de la fièvre. Aujourd’hui, les cultures ont pu s’y améliorer, les maisons prendre un aspect moins pauvre ; on retrouve encore le passé çà et là, à certains vestiges, ne fût-ce qu’à je ne sais quel air de méfiance invétérée empreint sur la physionomie des habitants.

« Toutefois, quelques restrictions qu’exige la vérité, elles ne modifient pas l’impression d’ensemble. La France est une contrée dont les parties sont naturellement en rapport, dont les habitants ont appris de bonne heure à se fréquenter et à se connaître. Et si des relations aisées se sont formées entre eux, c’est que les conditions géographiques l’ont, non seulement permis, mais provoqué. Une répartition harmonieuse de plaines autour d’un massif, une heureuse combinaison de rivières et de passages : voilà des avantages qui ont été signalés dès que des observations ont été faites sur notre pays. Mais il en est d’autres qui, pressentis plutôt que connus, n’en ont pas moins exercé leur action sur les générations qui se sont succédé. Par l’effet de nombreuses vicissitudes qui ont marqué son évolution géologique, cette contrée offre une variété de terrains qui est bien rare. Nos plaines se déroulent, des Vosges à la mer, par zones concentriques dont chacune apporte, avec sa constitution propre, une note nouvelle dans le paysage. En une longue contiguïté, des terrains pourvus de propriétés différentes,