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Rhône. Que sais-je encore ? Le Bugey envoyait des peigneurs de chanvre ; le Livradois, des scieurs de long ; le Bassigny, des fondeurs de métaux ; le Bocage normand, des étameurs, etc. Ils se répandaient fort loin ; et c’est ainsi que le nom de plusieurs de nos provinces, colporté par eux, s’associait chez ceux qu’ils favorisaient de leurs visites à l’idée d’un métier caractéristique. On aurait tort de demander une rigoureuse exactitude géographique à ces noms d’Auvergnats, Savoyards, Lorrains, Gascons, que prodigue un peu au hasard le populaire ; ils désignent pour lui la provenance approximative de ceux que leur métier amenait périodiquement d’un bout du royaume à l’autre. Mais ce sont des noms bien vivants, auxquels s’attache une signification qu’on peut trouver plus ou moins charitable et bienveillante, mais qui montre qu’ils parlaient à l’esprit. On peut en dire autant, dans un cercle moins étendu, des dictons, sobriquets, proverbes sans nombre qui s’échangent entre villes, villages ou pays. Les descriptions géographiques de France qui furent notamment composées vers le commencement du xviie siècle sont émaillées de proverbes de ce genre. Sans attacher plus d’importance qu’elle ne mérite à ce qu’on appelle la sagesse des nations, il est permis d’y voir l’indice d’une familiarité avancée entre ceux qui avaient l’habitude de se décocher ces traits.

« Tous ces faits nous transportent dans un milieu économique qui a vécu, qui a disparu emporté par les transformations modernes, et qui appartient définitivement au passé. Mais leur trace s’est imprimée sur les relations, le pli est resté sur le caractère des hommes. Si l’on se borne, comme il convient ici, à en résumer les traits généraux, on constate une foule de rapports de détail, nés d’impulsions multiples, produites elles-mêmes par des contrastes géographiques. On voit une circulation menue qui ne se concentre pas dans quelques voies principales, mais qui pénètre, s’insinue de toutes parts. Avec tous les minces fils dont sûrement beaucoup échappent, s’est formée une trame qui enveloppe à peu près l’ensemble de la contrée. Ces tournées, ces migrations temporaires font l’effet du va-et-vient d’une vaste fourmilière. Mais, chose à noter, tous ces mouvements élémentaires rentraient dans les cadres d’une vie tout imprégnée d’influences locales, contre laquelle ne pouvait encore lutter que faiblement l’action des villes. Le pays, au sens étroit du mot, restait toujours, même pour ceux qui s’en éloignaient, l’unité essentielle, le terme de comparaison d’après lequel ils ju-