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tienne qui compte, ce n’est pas seulement le mariage, c’est la vie qui deviendrait impossible !… Voyons ! Voyons ! Revenons à la réalité. Un peu de tolérance, un peu de largeur d’idées…

Monique regarda sa mère. Le sol des habitudes sous elle se dérobait, comme un fond de vase. Elle piétinait, mais elle enfonçait. Elle voulut se raccrocher à l’apparence, se suspendre à l’image que dans l’éloignement, et depuis son retour d’Hyères, elle s’était faite, en dépit des passagères dissonances, de celle qui l’avait enfantée et, malgré leur séparation, gâtée à sa façon. Elle cria, comme on appelle au secours :

— Mais toi, maman, tu as aimé papa ! Vous vous êtes mariés pauvres, avant que ses découvertes aient fait de l’usine ce qu’elle est devenue ? Tu ne peux pas penser autrement que moi ! Tu méprises Ponette ! Malgré son argent et son salon tu n’admires pas vraiment la mère Jacquet ? Tu n’as pas d’estime pour Hélène Suze qui ne s’est donnée à un vieux et sale bandit comme son ex-mari que pour troquer, en divorçant, son étiquette de Mademoiselle contre son estampille de Madame ? Et je cite celles-là au hasard. Il y en a des centaines comme ça ? Tu ne t’es pas conduite comme elles, tu ne les approuves pas !

Mme Lerbier éluda :

— Tu vas toujours d’un extrême à l’autre ! Non évidemment, je ne te donne pas nos amies comme des saintes. Mais que veux-tu ? Quand on vit dans le monde, — et non seulement nous y vivons, mais nous en vivons, il faut bien accepter… oh ! pas ses vices, non, mais certaines coutumes, certaines nécessités. C’est comme ça… Nous n’y changerons rien.