Page:Victor Margueritte - La Garçonne, 1922.djvu/93

Cette page a été validée par deux contributeurs.
91
la garçonne

— Non. C’est fini.

— Ta ! ta ! ta ! L’exaltation, avant le mariage, tant que tu voudras ! Après, il faut mettre chacun du sien. Vivre ensemble sans se faire souffrir, ce n’est pas une petite affaire. C’est même la grande affaire de la vie ! On n’y parvient qu’à force de concessions réciproques…

Monique sentait chaque phrase entrer, dans la révolte de sa souffrance, comme une pointe de feu… Un fossé d’âme entre elle ? Non, un abîme. Elle découvrait, sous les broussailles de l’affection quotidienne, la profondeur du précipice. Et, en même temps, elle se blottissait dans son mutisme, comme dans un refuge. Elle tendit le front :

— Nous causerons demain. Je n’en peux plus.

— Tâche de dormir !

Seule, elle courut à sa baignoire, se plongea, longtemps, dans une eau si chaude qu’elle finit par s’y amollir. Le saisissement de la douche froide acheva de détendre ses nerfs. Si elle souffrait encore dans sa chair déchirée, elle n’éprouvait, de son action même, nul regret. Sa première sensation de souillure s’était effacée, au bienfait de l’eau lustrale. Elle n’éprouvait, avec une horreur indistincte pour la sauvagerie de l’homme, qu’une haine collective contre tout ce qui, personnes, mœurs et lois, venait de la torturer si cruellement. Lucien, son amour, l’avenir totalement modifié tombaient au rang des contingences. Une sorte de courbature morale la jetait bas. Elle finit par s’endormir…

Au réveil, à nouveau, tout dansa dans sa cervelle. Si encore elle avait eu, pour penser tout haut, la bonne tante, sa pitié, sa tendresse agissantes ! Elle