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toute l’ivresse physique de l’amour, Monique ignorait le plus puissant des liens. Nœud gordien de la volupté… L’esprit seul, à cette minute, délibérait en elle, et décidait.

Elle marchait depuis près d’une heure, insensible aux invites murmurées, aux cris plaisants, aux gestes même. Quand un peu de calme tombait, et que s’atténuait un moment la double torture : l’injure ignoble à son amour en même temps qu’à son sens viril de l’honneur, elle revoyait, à la table qu’ils avaient déjà quittée peut-être pour le lit, Lucien empressé auprès de sa compagne…

Il ne l’avait donc jamais aimée ! Il avait joui d’elle, en passant, comme d’une fille, — comme de cette fille ! Il la lui préférait !… Elle souffrait moins, à cette idée, qu’à l’humiliation et à la rancune de n’avoir été pour lui qu’un jouet. Pis ! Un marche-pied d’affaires !… De quelle boue une âme pareille pouvait donc être faite ? Comment avait-elle pu, elle-même, s’aveugler à ce point ?

Et demain, il faudrait le revoir, l’entendre mentir encore ? Car sans nul doute il mentirait ! Non pour nier le fait, il était là, mais pour le colorer de quelque excuse… Il n’y en avait pas, à de tels actes. Et si de pareilles goujateries en pouvaient trouver, aux yeux de Lucien comme à ceux d’autres hommes, c’est qu’alors il n’y avait plus ni amour, ni honneur ! Il n’y avait plus qu’à vivre comme les bêtes. Inconsciemment. Impunément…

Demain ! Et l’explication inévitable, et les justifications qu’il essayerait, les dernières bourdes qu’à cet instant même, la tête sur le sein de cette fille, il préparait et dont, avant de passer à leurs saletés, ils