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qu’une seule meurtrissure. Elle eût voulu pouvoir sangloter, crier.

Puis, avec la conscience à demi réveillée, impérieusement l’envahissait une surprise d’enfant qu’on a frappé sans cause, et qui se révolte. Était-ce possible ? Pourquoi ? Comment ?… Elle entendait encore l’intonation de Lucien, au Ritz. Il attestait son regret, maudissait les Belges, leur coup de téléphone, ce matin encore… Il souriait en lui disant au revoir, bien tranquille après la promesse qu’elle lui avait faite de rentrer après le théâtre, de ne souper nulle part !

Elle se demandait, dans l’ingénuité de sa lamentation : « Après m’avoir prise !… Pourquoi m’a-t-il laissée ? Pourquoi ?… » Trahison inexplicable, mensonge incompréhensible qui, après l’avoir confondue, la ramenaient au contre-coup de la fureur. Plus encore peut-être que de la douleur de sa passion, assommée, elle enrageait d’une telle fausseté, comme du pire outrage.

Certes elle saignait, dans tout son être. Arrachement brusque d’un sentiment qu’elle avait cru incarner sa vie même. Et elle en saignait d’autant plus cruellement, qu’en elle se cicatrisait à peine la douce blessure de son abandon. Mais, dans son instinct d’absolu, elle se voulait détachée, instantanément et pour jamais, de ce qui, tout à l’heure encore, était sa raison d’existence. Partie d’elle-même amputée. Illusion pourrie, — chair morte.

Aimer Lucien ? Elle ? Non. Elle le détestait, et le méprisait. Jugement sinon sans dépit, du moins sans appel, parce qu’il était rendu par une inflexible pensée. Vierge hier encore, et n’ayant pas goûté