Page:Victor Margueritte - La Garçonne, 1922.djvu/81

Cette page a été validée par deux contributeurs.
79
la garçonne

Elle se disait : « Il aura prêté sa voiture à un ami, comme il me l’a envoyée à moi-même cet après-midi… » Elle resta atterrée. Lucien ouvrait la portière, descendait, tendait la main à une jeune femme, drapée dans une cape de martre semblable à celle qu’elle venait, elle-même, de commander chez le fourreur !… Vivement, comme des amoureux en bonne fortune, et qui évitent d’être vus, le couple s’engouffrait, sous le porche.

Elle voulut en avoir le cœur net. Le souvenir d’un récent déjeuner, avec lady Springfield, lui rappela que du restaurant un escalier intérieur conduisait au premier. Elle s’élança, rejoignant Michelle. Devant elles, M. et Mme Lerbier se hâtaient, entre le salut des maîtres d’hôtel, vers la grande table ovale où les banquiers debout leur faisaient signe. Assis à côté l’un de l’autre, Max de Laume et Ponette flirtaient déjà, tranquillement…

Monique entendit vaguement Ransom déclarer : « On sera mieux que dans un salon, c’est plus gai », et sa mère lui dire : « Qu’est-ce que tu as ? Tu n’ôtes pas ton manteau ?… »

Elle murmura :

— Tout à l’heure. Je reviens…

D’un trait, elle filait, montait l’escalier. Elle arriva juste à temps pour apercevoir, du palier, Lucien devant une porte ouverte, que désignait un garçon, Il débarrassait de sa cape sa compagne, décolletée jusqu’à la taille… Brune, l’air méchant, sous le sourire félin… Cléo, évidemment !

Monique se cramponna au palier de la rampe. Ses jambes fléchissaient. Hallucination ? Non ! Réalité qui, en la frappant d’une hébétude, l’emplissait d’hor-