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d’inclinaison, entamait une réponse dont il ponctuait chaque phrase d’un tiraillement de sa barbiche, elle contemplait ces trois hommes, si différents de ceux qu’elle était accoutumée de voir.

Des trois, le plus sympathique était, sans conteste, M. Vignabos, malgré son dos un peu bossu, ses petites jambes au pantalon trop court et tire-bouchonné, et ce visage de marron sculpté !… Il avait, dans le regard, un tel pétillement de clairvoyance et de bon sens, et dans le pli des lèvres une si indulgente finesse que tout l’être en était comme illuminé.

Quant aux autres, ce Boisselot, dont elle se souvenait avoir lu un curieux roman, âpre et cependant émouvant : les Cœurs sincères, — il avait eu beau, sur la jalousie et sur l’amour dans le mariage, dire des choses intelligentes, — (elle les jugeait telles parce qu’elles correspondaient à son propre sentiment), — jamais elle ne pourrait se faire à ce manque total d’élégance. Tout en muscles, haut sur pattes, des mains noueuses et une face ravagée aux yeux étranges ouvrant leurs prunelles de chat sur une sclérotique jaune, le teint bilieux dans un hérissement de barbe rousse, — Régis Boisselot donnait l’impression d’un carnassier, tourmenté par un cœur tendre. Bonhomme curieux, avec lequel on pouvait sympathiser.

Quant au beau parleur !… Mince, petit, distingué, un glabre visage de jeune évêque, — celui-là, Monique n’encaissait pas son air professoral, son affectation de sérénité sceptique. Un raseur à fuir, ce Blanchet ! Généreux ? peut-être, en théorie. Mais suant l’égoïsme disert. En dépit des idées avec lesquelles il jonglait, et qui, quoiqu’elle en eût dit, rejoignaient souvent les siennes, elle jugeait une inconvenance, une offense