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la garçonne

Heureusement que Lucien ne ressemble pas plus à ces pantins, que moi à ces poupées.

Elle quêta, d’un regard, l’approbation de sa tante.

— Il faut que tu saches cependant, dit Mme Lerbier décidée à avoir le dernier mot, qu’avec tes façons de parler et d’agir au gré de tes seules inspirations, tu passes pour une toquée. Au fond, tu es un garçon manqué ! Regarde tes amies, Ginette ou Michelle. Voilà de vraies jeunes filles. Michelle surtout !

Monique reposa son verre. Elle avait failli s’étrangler. Et profitant de ce que la femme de chambre sortait :

— Leur mari n’en aura pas l’étrenne !

Mme Lerbier gloussa, scandalisée. Elle eût voulu que Monique, tout en n’étant pas absolument une oie blanche, gardât jusqu’au mariage cette ignorance décente que discrètement la mère, à la veille du grand soir, éclaire… Mais, sous prétexte d’éducation scientifique, cette franchise qui ne reculait devant rien, même pas, au besoin, devant l’appellation, par leur nom, des organes les plus secrets !… Non…! Quoi qu’en pensât tante Sylvestre, certains chapitres de l’histoire naturelle devaient pour les jeunes filles se borner au règne végétal. Aux précisions anatomiques Mme Lerbier préférait, « en dépit de son pseudo-danger », l’ombre dormante, la pudeur, — c’est cela ! — « la pudeur du mystère ! » La pudeur, quand elle avait lâché ce grand mot, elle avait tout dit.

— Tu me fais bien souffrir, murmura-t-elle.

— Il faut en prendre ton parti, maman. Depuis la guerre nous sommes toutes devenues, plus ou moins, des garçonnes !

M. Lerbier, sur ces matières, s’abstenait d’inter-