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la garçonne

Mme Lerbier s’en rengorgeait encore, en passant devant son concierge galonné, qui saluait bas. Ces témoignages de la considération sociale, des premiers aux derniers échelons, lui semblaient aussi nécessaires que l’air respirable. Elle ne concevait pas qu’il pût y avoir d’autre atmosphère que celle des préjugés, desquels et pour lesquels elle vivait…

L’ascenseur stoppa. La porte de l’appartement en même temps s’ouvrit. C’était tante Sylvestre qui venait de rentrer, prudemment, par l’escalier, et qui les avait entendues.

— Tu vois, plaisanta Mme Lerbier, en apercevant sa sœur… Nous ne sommes pas mortes !

La vieille fille gardait, de sa réclusion provinciale, deux peurs : celle de ces cages, suspendues avec leurs jeux de boutons ou leur va-et-vient de cordes, — et celle des carrefours à traverser, au milieu des autobus.

— Votre Paris, déclara-t-elle, c’est un affoloir !

Elle tapota la main de Monique, qui, après l’avoir embrassée, lui demandait : « Tu t’es amusée, au moins, au Français ? » Tante Sylvestre, à chaque voyage, se payait régulièrement une représentation classique :

— Il n’y a que cela qui manque, à Hyères… Sinon, ce serait le paradis terrestre. Avoue !

— J’avoue.

Monique baisa, à nouveau, la vieille face parcheminée. Bien plus que de sa mère, elle se sentait fille de cette brave femme. Hyères ! Oui… L’harmonieux passé se leva, dans sa mémoire reconnaissante. Sa chambre d’écolière… la classe ouverte sur le bleu… Et le jardin, et la grande roche ! Belvédère d’où elle avait cru découvrir le monde !…