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la garçonne

fiancé, ça ne me gêne pas, pour voir ! Le marquisat d’Entraygues n’en jette qu’aux yeux de la mère Jacquet ! Au prix de ma dot, elle aurait aussi bien pu avoir un duc !…

Mme Lerbier gloussa, scandalisée :

— Oh ! Michelle ! Si votre excellente mère vous entendait parler ainsi d’elle et de son futur gendre…

— Les oreilles lui en tomberaient.

— Les jeunes filles d’aujourd’hui ne respectent plus rien ! Au fait, pourquoi n’avons-nous pas eu le plaisir de la rencontrer aujourd’hui ?

— Son jeudi, tiens !

Michelle fuyait, autant qu’elle le pouvait, cette solennité. Réunion pour vieux et jeunes messieurs, en mal de quémander ou en démangeaison de se produire… On s’y montrait aussi diverses nuances de bas-bleus, — Mme  Jacquet, auteur d’un petit livre de Maximes, faisant partie de la société George Sand. (Prix littéraire de 15.000 francs.)

Mme Lerbier répéta, avec componction :

— Son jeudi, c’est vrai.

Autant elle prisait peu, tout en la cajolant, Mme Bardinot, autant elle révérait la richissime Mme Jacquet. C’était une ancienne danseuse qui, des maisons de passe, avait finalement extrait, avec ses célèbres colliers de perles et son hôtel de l’avenue du Bois, un mari ambassadeur. Il était mort gâteux pendant la guerre et elle en portait avec majesté le demi-deuil, comme du père officiel de Michelle, endossée avec le reste. Par son salon bien pensant, où fréquentaient à la fois le Nonce et le Président du Sénat, Mme Jacquet était devenue puissance. Elle faisait des académiciens et défaisait des ministères.