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grande salle du buffet. Autour des comptoirs, où les groupes s’étaient formés au rappel des sympathies, les éclats de rire et les voix résonnaient, plus haut. On eut dit, après la bousculade de l’après-midi, l’entrain d’une fête choisie, où l’élite mondaine serrait les rangs. Les cinq à six cents figurants de toutes les sacristies et de toutes les générales étaient là. On se retrouvait, entre soi.

— Votre mère n’arrive pas, dit Vigneret. Six heures ! Il faut que je me sauve. Une affaire indispensable,

Le rendez-vous avec Cléo, chez elle, à six heures et quart ! Il n’avait que le temps.

— Alors, fit-elle en soupirant, à ce soir ! Ne venez pas trop tard.

— Neuf heures et demie, comme d’habitude…

Il s’éloignait, sous le tendre regard. Quand il eut disparu, Monique éprouva la sensation d’un isolement brusque. Que faisait-elle, dans cette foire de toutes les vanités et de toutes les corruptions ?

Le luxe et la sottise qui paradaient là, sous ces lambris gouvernementaux, — tandis que s’additionnaient tapageusement les recettes, proclamées par chacune, à coups de grosses caisses, — lui soulevaient le cœur. L’étiquette dorée : « Au profit des Mutilés Français » ne parvenait pas à recouvrir, dans sa mémoire et dans sa sensibilité, l’atroce vision du grand Hospice de Boisfleury…

Si familiarisée qu’elle eût été, naguère, avec la souffrance et les hôpitaux, ce spectacle-là : ces cloportes humains se traînant ou sautillant sur leurs béquilles, les troncs manœuvrant sur roulettes, les grands blessés de la face, — tous ces débris