Page:Victor Margueritte - La Garçonne, 1922.djvu/33

Cette page a été validée par deux contributeurs.
31
la garçonne

moins, prier son père de lui dire, en partie, la vérité… Maintenant il est trop tard… »

« Je vous aime ! » À l’incantation des mots magiques, Monique revivait l’heure inoubliable : tous deux seuls, par hasard, dans l’appartement qu’ils habiteraient bientôt, et qu’elle prenait tant de plaisir à installer… Elle n’avait qu’un désir, mais n’osait le formuler : que l’occasion se renouvelât !… À petites phrases, sans rien deviner du chemin qu’il suivait en sens inverse, elle récapitulait, allant au-devant de tout ce qui jour à jour achevait de les réunir, leurs courses, leurs rendez-vous… Ce soir, sa visite quotidienne… Demain, à cinq heures, le fourreur ; ensuite un coup d’œil au mobilier Empire signalé par Pierre des Souzaies ; et puis le thé au Ritz… Elle eut une moue :

— Quel dommage que vous ayez été forcé d’engager votre soirée ! Ç’aurait été si gentil de réveillonner ensemble. Je vous garderai tout de même votre place… Vous savez, Loge 27… Alex Marly, dans Ménèlas.

— Je ferai l’impossible pour me dégager. Mais je vous assure, l’affaire est d’importance.

… Oui, la licence de sa nouvelle voiture, la vente à enlever, avec ces Belges venus exprès d’Anvers… Ils se décideraient plus facilement, dans l’atmosphère agréable du souper… Il lui avait dit tout cela, et elle l’admettait, comme une des nécessités ennuyeuses du métier.

— L’an prochain, par exemple ! spécifia-t-elle, en levant un doigt menaçant… on ne se quittera plus !

Elle se voyait, après l’ivresse des jours nuptiaux, communiant jusque dans le quotidien labeur. Ils partageraient tout, soucis aussi bien que plaisirs.