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la garçonne

la couvait… Qu’on était bien !… Qu’on était bien autour de cette table, dans la gentille salle à manger, la chaude lumière, la simple joie d’être là, tous les cinq, après le bon souper où, filialement, elle avait fait place à l’absente…

Tante Sylvestre se tenait debout devant elle. L’affreuse image du cadavre étendu sur la civière s’était définitivement évanouie. La bonne vieille était là, vivante, avec l’indulgent sourire qu’elle avait le jour où elles étaient allées ensemble rue de Médicis… M. Ambrat avait raison : les morts qu’on aime ne sont pas morts ; ils ne disparaissent qu’avec le dernier souvenir !…

Le cabinet de Vignabos, Régis, Georges… la journée du réveillon tragique, et, sur tout cela qui n’était plus, le maternel visage que, durant la morne, longue étape, elle avait cessé de voir, et qui lui réapparaissait aujourd’hui !… Oui ! là, vivant… « Tante ! Tante ! » faillit-elle crier, avec un irrésistible besoin d’être comprise, absoute. Dans une suprême prière qui prenait à témoin l’absente à travers ceux qui l’avaient chérie, et qui, surtout, l’adjurait, lui, le juge souverain, elle confessa :

— Non, Georges ! ne leur donnez pas le change. La guérison dont je parlais, c’est celle que je vous dois ! À qui me confierais-je, sinon à vous et à ces vieux amis qui pour moi ne représentent pas seulement tante Sylvestre, mais toute ma famille !… Car mes parents, n’en parlons pas !… Je suis pour eux comme un bibelot qui leur aurait appartenu et qui est passé dans d’autres mains !… Quand je les revois, je ne trouve rien à leur dire, parce que si je ne me retenais, je leur crierais : « C’est vous, c’est votre