Page:Victor Margueritte - La Garçonne, 1922.djvu/308

Cette page a été validée par deux contributeurs.
306
la garçonne

heureuse ! Détournant le propos de son vrai sens, il haussa son verre :

— Monique a raison ! Je bois, pour réparer l’inqualifiable oubli de notre vénéré maître, à la guérison plus rapide encore de notre amie. Voilà ce que c’est que d’être modeste, mademoiselle. On ne parle que de ma blessure, on ne se soucie pas de la vôtre ! Il est vrai qu’on ne l’aperçoit même plus !

— Oh ! si on peut dire !

Elle inclina la tête. Sur le cou de neige, au renflement de l’épaule, une ligne rose paraissait, perdue sous le velours noir de la robe, décolletée à peine. Elle avait pour tout bijou, au bout d’un fil d’or, la pile balle de plomb, écrasée au sommet, que Riri avait ramassée le lendemain, au pied du chambranle de pierre où elle était tombée.

Sans en rien dire, Monique l’avait gardée, superstitieusement. Elle n’eut pas changé, pour le plus beau diamant, cette petite chose inerte qui, baptisée du sang de Georges et du sien, les avait marqués du même signe, Trait d’union mystérieux.

Paupières baissées, tandis que Mme Ambrat prélevait sur les restes du Mont-Blanc, la part de Riri — la petite avait bien recommandé qu’on la lui mît de côté, avec un peu de boudin et d’oie ! — Monique évoquait, rêveuse, tout ce qui tenait de passé dans l’heure anniversaire ! Nuits de Noël où une petite fille était morte, où une jeune femme naissait !… Entre ces deux pôles de sa vie, un monde de deuils, de déceptions, un désert de tristesse et de ruines… Étape si morne et si longue qu’elle y avait failli succomber… Sans Georges !

Elle ouvrit les yeux sous le regard qui, soucieux,