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la garçonne

Monique s’en alla, sur la route noire. Elle avait peine à rassembler ses idées. Elle marchait comme soulevée, emportée par le vent. Enfin les premières maisons de Rozeuil parurent, l’hôtel montra ses fenêtres éclairées…

Elle avait, devant l’aubergiste surpris, retrouvé toute sa lucidité, donné les ordres d’une voix nette… En revenant, sous la pluie qui lui fouettait les joues, elle respirait. Fini ! C’était fini !…

Dès lors elle ne se départit plus de son calme, fit ses malles, tranquillement. Julia l’aidait, avec des soupirs. Derrière la cloison de la chambre, on entendait un pas martelé.

Quand Monique eut achevé de caser elle-même, méthodiquement, son linge, elle alla, comme si de rien n’était, chercher dans la pièce voisine son cartable et sa boîte à aquarelle. Régis se planta devant elle :

— Alors tu crois que tu vas partir, comme ça ?

— Oui, je te laisse l’auto. Tu dîneras seul, avec Julia.

Elle rangeait ses godets, ses pinceaux, indifférente à la fureur dont elle le voyait trembler. Soudain il s’élança, écrasa du poing le couvercle de la boîte, qui bascula.

— Penses-tu, que tu me lâcheras, pour aller te foutre de moi, demain, avec l’autre ! Tu ne partiras pas. Tu es à moi ! Je t’ai, je te garde… Laisse tout ça ! Tu restes.

D’un air froidement décidé, elle ramassa les petites bouteilles de couleur, les jeta au feu, et prit tranquillement son cartable. Hors de lui, il lui barra le chemin, ordonna :

— Laisse ça !… tu entends, sinon…

— Sinon, quoi ?…