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eût envie de se rejeter sur elle, et de l’étrangler.

— Tu peux crâner ! Ça n’empêche pas que vous ferez des époux assortis !… Ça ne le gênera pas, lui, ta vie de garçon ! Monsieur n’est pas dégoûté, il mange les restes… Oui, oui ! c’est un joli cœur, et un bel esprit ! Le nez bouché, mais les idées larges !… Non ! attends, je n’ai pas fini ! Tu as beau prendre ton air impératrice… Tu n’as jamais été qu’une pauvre fille qui n’a jamais rien compris à rien, une détraquée !… Au lieu de commencer par te mettre sur le dos, avec un passant, tout ça parce qu’on avait menti, à Mademoiselle, — tu n’avais qu’à faire comme les autres, à te marier sans tant de chichis !… Mais non ! Ça voulait réformer le monde !… Si toutes les femmes faisaient comme toi, vrai, ce serait du propre ! Et ce qu’il y a de rigolo, c’est que ça se croit honnête !… Honnête, c’est à se tordre ! Va, va retrouver le Blanchet, vous faites la paire !…

Son venin jeté, il se tut, farouche. Elle le regardait toujours, droite, blanche, les yeux dans les yeux… Il céda, recula. Lentement elle passa devant lui, ouvrit la porte : au milieu de l’escalier, Julia, tapie, écoutait. À la vue de Monique, elle descendit précipitamment, et, dans le vestibule, s’excusa :

— Je montais pour voir s’il n’y avait pas besoin de bois… J’ai entendu monsieur qui criait… Pauvre petite dame ! Y a pas de bon sens de se mettre dans des états pareils !…

— Préparez mes deux malles.

— Madame veut s’en aller !

Le visage de la grosse vieille femme, tout grêlé de cicatrices, s’imprégnait d’un blâme apitoyé. Le corps épais se dandinait, au seuil de la cuisine ouverte.