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la garçonne

un matin brumeux, vers la maison de la rivière. Julia les y avait devancés, la veille, avec les malles.

Était-ce le prisme de la saison ? cette chaude clarté de l’été de la Saint-Martin sur le décor renouvelé, et en eux-mêmes ? Avec ses peupliers aux feuilles d’or, la nacre des brouillards sur l’eau, les bois rougissants, ils trouvèrent Rozeuil plus émouvant, aux suprêmes soleils de novembre, qu’ils n’avaient fait, au printemps de leur amour.

Régis était redevenu le simple compagnon du début. La première semaine s’envola, emportée en longues randonnées sur les routes, l’air vif aux tempes, les petits villages traversés en vitesse. Le soir, de grandes flambées échauffaient, éclairaient la petite salle à manger où, la table desservie, ils étalaient leurs pages blanches, prolongeaient la veillée, en travaillant avec bonne humeur.

Elle crut à la possibilité du miracle : un côté-à-côte suffisamment agréable pour qu’elle passât sur quantité de défauts, dont malgré sa bonne volonté il ne se pouvait défaire… Et assez de points de contact, en somme, pour qu’ils demeurassent amis, et même amants. Quant au projet que par politique il taisait, mais dont elle sentait bien qu’il gardait l’espoir, — rien que de l’imaginer, la révulsait.

Le mariage ! Jamais ! Avec Régis moins encore qu’avec tout autre… Libre elle était, libre elle resterait ! Aussi bien qu’est-ce que cette légalisation, en soi, pouvait désormais lui apporter ?… Qu’ajoutait-elle aux unions heureuses ? Rien ! Et aux autres ? La corde au cou…

Réticences qu’il percevait en elle comme elle les percevait en lui, et qui assombrissaient, malgré eux,