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Épanoui, il se dandina jusqu’au comptoir voisin, où Mme Bardinot et Michelle Jacquet lui faisaient des signes amicaux.

— Il n’y a plus d’aristocratie ! prononça, avec une amertume élégiaque, le distributeur de verdicts mondains. L’argent a tout nivelé. C’est le règne du panmuflisme.

Léonidas Mercœur, — plus brièvement Léo, — planait, par définition, au-dessus de ces misères. Graissé, dès âge de plaire, par la générosité de ses maîtresses, — avant que de fructueuses spéculations dans l’intendance l’eussent, en 1915, définitivement mis à l’abri du besoin, en même temps que du feu, — l’ancien garçon coiffeur, promu chroniqueur mondain, vivait de ses rentes : trente mille balles, en coupons d’État. Ses économies de la guerre. Depuis, ayant éprouvé l’agrément des services auxiliaires, il les continuait, au civil. Vide-bidet de Mme Bardinot, c’est ainsi qu’il appliquait à ses menues dépenses (doubles de ses revenus), une part de ce qu’elle-même tirait de son amant, le banquier Ransom. Ce qui n’empêchait pas en outre le beau Léo, confident des vieilles et précepteur des jeunes, de pêcher, au petit bonheur, dans l’eau trouble de chaque rencontre.

Des acheteurs coupèrent leur aparté. Fière d’être plus achalandée que sa meilleure amie, la petite Jacquet, dont elle apercevait le profil gavroche au comptoir voisin, Ginette se prodiguait, les yeux brillants, le buste courbé. Cou nu, seins offerts sous le crêpe léger, il semblait qu’avec chaque objet vendu elle dispensât, à tout venant, un peu d’elle-même. Une satisfaction vaniteuse se mêlait à son excitation sensuelle : elle aurait ce soir la plus grosse recette !