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la sauvageonne, qu’il battait. Mieux qu’une renonciation écrite de ses droits, — sans valeur effective aux yeux de la loi, qui respecte chez les pires brutes l’autorité paternelle — un remariage, heureusement suivi de l’émigration du poivrot dans les régions libérées, avait permis aux Ambrat d’entreprendre, avec sécurité, le sauvetage définitif. De l’humble victime, deux ans d’éducation sagace et de tendre affection avaient suffi pour faire un autre être. Riri, transplantée, poussait droit.

— Quelle réussite ! Vous pouvez en être fière.

Mme Ambrat sourit, modestement :

— Elle est si gentille ! Et c’est si réconfortant de voir s’épanouir une âme qui ne demandait qu’à aimer et à vivre. Je crois décidément, de plus en plus, qu’il n’y a de vrais foyers que ceux d’élection, Riri m’aime comme si j’étais sa mère. Mieux, peut-être. La famille n’est qu’un mot, si on la fonde sur le seul préjugé du sang. Oui, chaque jour m’en persuade davantage : la vraie filiation, c’est celle de l’intelligence et du cœur.

— On ne supprime pas l’hérédité, observa Régis.

— Non, monsieur Boisselot. Mais on la corrige à tel point qu’on la transforme. La greffe est une belle invention ! Pourquoi ne ferait-où pas d’une sauvageonne un joli arbre à fruits, quand une souche d’amandier amer produit, au bout de deux ans, des pêches exquises ?

M. Vignabos, qui s’était emparé de Monique, lui tapotait amicalement les mains. Autour d’elle chacun s’inclinait, avec un empressement dont Régis malgré lui prit ombrage. Il s’accoutumait difficilement d’être ainsi relégué au second plan. Il serra, sans chaleur,