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la garçonne

— Blanchet, n’est-ce pas ?

Il parodia, avec la voix de Max :

C’est toi qui l’as nommé.

— Sais-tu ce que tu es ?

— Un idiot, c’est entendu. En tout cas, pas un aveugle ! Crois-tu que je n’ai pas remarqué votre manège, la dernière fois que nous l’avons rencontré ? Je dis nous, parce que je ne sais pas ce que tu peux faire, en dehors de moi !

— Régis !

— Quoi ? C’est vrai. J’énonce un fait : je ne sais pas. Voilà tout…

— Peux-tu douter ?…

— Il faut toujours douter ! Le doute, je ne connais pas d’autre certitude. Prends garde d’achever de faire la mienne, avec ton indignation.

Elle se tut, fièrement. Il en prit avantage :

— Penses-tu que je ne me sois pas aperçu de vos clins d’œil, quand je parlais, et de tes mines, chaque fois qu’il ouvrait la bouche !… Vous auriez été déjà complices que je n’en serais pas autrement surpris !

Julia rentrait, portant un bifteck aux pommes peu appétissant. Elle le posa sur la table, et changea les assiettes, de ses doigts boudinés, aux ongles noirs. Relativité des choses ! Monique sentit, plus fortement que de coutume, cette espèce de pauvreté revêche que tout, autour de Régis, exhalait : l’étroitesse des âmes, le cloisonnement des murs.

Machinalement elle découpa, servit. Ils mangèrent, comme deux étrangers à la même table. I n’y tint plus, et repoussant sa chaise, se leva :

— Tu n’oses pas nier ?… J’en étais sûr !

Il allait et venait nerveusement, comme en cage.