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dont la rayonnante blondeur le fascinait : son imminent mariage avec Lucien Vigneret, le fabricant d’automobiles ! Bonne marque, évidemment ! Mais quel coureur ! Il n’y avait qu’à attendre : savait-on jamais ?… Peut-être qu’un jour ou l’autre le divorce ?… Et puis, à défaut d’une épouse, quelle maîtresse !… Les millions de Plombino, pachyderme à peau moite, lui faisaient oublier sa laideur : un homme qui a douze cent mille francs de rentes est toujours sûr d’être bien accueilli…

Vexé par le froid salut auquel sa démonstration venait de se heurter, il redoubla d’œillades pour Ginette Morin. C’était une brune piquante, et dont le voisinage, au lit… Il ne l’y voyait d’ailleurs qu’en manière de passe-temps. Autant en effet Monique lui paraissait une compagne enviable, autant Ginette lui inspirait peu de confiance. Pour la bagatelle, autre affaire !… Sa lippe pendante, à cette idée, s’humectait. Il acquiesça, émoustillé :

— Une poîte à gants ?… Pourquoi bas ?… Surtout si fous me les essayez !

— Six paires, ce serait un peu long.

— Je ne grois pas…

Il eut un gros rire. Elle ouvrit des yeux étonnés :

— Qu’est-ce que cela a de drôle ?… C’est du chevreau glacé, 7 1/4…

— Ce n’est pas ma pointure.

— Évidemment !

Elle rit à son tour, insolemment, au spectacle des grosses mains étalées.

Jean Plombino, — qui avait autrefois hissé plus d’un sac sur son épaule quand, portefaix aux docks de Gênes, il gagnait trois francs par jour, — avait