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la garçonne

— Par exemple !

Il avait tourné le dos, commençait à se déshabiller, en sifflotant. Indignée, elle jeta :

— Aucun rapport ? Explique-toi !

Il enleva son gilet, et buté :

— Ce serait trop long.

Elle s’écria :

— Tu m’aurais ramassée sur le trottoir que tu ne me traiterais pas autrement ! Je ne suis pas une fille.

— Non. Si tu étais une fille, une pauvre fille qui couche parce que c’est le seul métier que la société lui ait appris, je ne te tiendrais pas ce langage. On n’a pas envie d’épouser une fille.

Elle eut un geste de surprise. Mais il continuait :

— On a envie d’elle, simplement, comme on a envie d’une tranche de viande, ou d’un livre à feuilleter. On se la paye, comme elle est. Et si d’aventure on se mettait à l’aimer… pourquoi pas ?… il faudrait être fou pour être jaloux des amants qu’elle a eus, et qu’elle ne pouvait pas ne pas avoir ! D’abord on ne les connaît pas. S’en souvient-elle elle-même ! Ils sont trop ! La foule, c’est anonyme… Mais toi, toi…

Elle l’écoutait douloureusement.

— Qui te forçait à te donner, comme une folle, aux premiers venus ?… À t’amouracher, pour sa belle gueule, d’un crétin comme ton danseur nu ?… Sans parler des autres, ceux que tu as eus la forfanterie de me nommer et ceux que tu as eu honte d’étaler, parce que tu sens bien que c’est du linge sale, et qu’il vaut mieux l’enfouir, dans le tiroir à clef !…

Elle mit ses mains sur son visage, pour en couvrir le rouge. Il criait :

— Tu n’avais pas le droit ! Tu aurais dû penser que