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la garçonne

désiré forme un tout, inséparable. Ce qu’il est ne se détache pas, par une section nette, de ce qu’il a été. Tous les moments d’une existence s’enchaînent… C’est parce que je t’aime uniquement, et uniquement parce que je t’aime, que je ne peux m’empêcher de songer à celle que tu as été, avant d’être à moi. Celle-là je la hais.

— Si tu m’aimais autant que tu le dis, tu ne la haïrais pas, tu me plaindrais…

Elle était debout ; il l’imita, gêné à son tour par sa nudité, et le sentiment qu’ils venaient de redevenir deux pauvres êtres tourmentés par le besoin de se voiler, corps et âme, l’un vis-à-vis de l’autre…

Fallait-il donc, le désir tombé, qu’ils se retrouvassent ainsi que deux adversaires, après la trêve ?… La franchise lui brûlait les lèvres. Il eut l’adresse de se maîtriser… Lui faire de la peine ? Non, ce serait muflerie pure… De là à la plaindre !

Il sentit gronder en lui une irritation, la jalouse souffrance que jusque dans cette pièce pimpante, où venait de haleter leur bonheur, les murs repeints lui causaient. L’étroit divan disparaissait : à sa place il y avait le drap mortuaire de la fumerie, où Monique, râlant sous d’autres étreintes, avait roulé, avec les mêmes soupirs, son corps énamouré.

Et là, derrière la cloison, il y avait la salle de bains, immuable, elle, avec son bidet chevauché par combien, avant lui !… Il s’habillait en silence, peu soucieux de s’attarder. Il avait une hâte instinctive de se retrouver seul, de contrôler ses idées en tumulte.

Elle devina le drame qui naissait en lui, après la quinzaine d’isolement, leurs vies transplantées, dans