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la garçonne

IL avait contemplé, flatté, cette transformation que d’un coup de baguette la fée avait réalisée, pour lui. Table rase des suggestions anciennes. Silence imposé au chuchotement des vilaines heures auxquelles, malgré lui, son investigation rétrospective n’avait que trop de tendances à prêter attention… Il voyait, dans le geste délicat de Monique, une soumission préventive, une volonté aussi d’effacement, spontanée et complète… Elle chassait le spectre.

« Qu’il n’en soit plus question ! » semblaient dire les murs retendus d’une toile ocre couleur des voiles marines, où des Rignac et des Marquet suspendaient, tranchant sur le fond orangé, leurs ciels méditerranéens. — « Ici l’on aime, et l’on oublie », ajoutaient le divan étroit pour deux et les profonds sièges couverts de velours bleu, les tables basses chargées des livres préférés, les étagères fleuries. Du maryland, dans un pot de Delft, attendait les doigts du maître. Et de courtes pipes amoncelaient dans une coupe d’onyx leur collection, au choix…

Si ours qu’il fût, et qu’au fond il restât, il avait été touché, jusqu’au fond du cœur. Après tout, de quoi se mêlerait-il, en s’érigeant reprocheur d’actes qui ne concernaient qu’elle ? Il n’avait pas à juger le passé de Monique. Savoir jouir du présent, c’est à cela que l’intelligence commandait de se limiter…

Il l’avait attiré contre lui, avait baisé longuement ses paupières bombées comme des pétales, sur les yeux clos. Tout le visage souriait, joyeux, dans cette offrande de la chair qui s’abandonne. Il l’avait regardée, triomphalement. Les pétales roses se rouvraient, les prunelles élançaient vers l’amant leurs feux d’appel. Une prière, un espoir !… Prière ardente, espoir infini.