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la garçonne

divan semblable à un immense drap mortuaire, avec son plateau d’accessoires votifs.

Elle avait voulu lui démontrer la vertu du philtre imaginaire : « Une petite pipe ! Rien qu’une !… » Mais il refusait le kimono dont elle l’invitait à se revêtir, tandis qu’elle-même, derrière le haut paravent de laque, se mettait à l’aise. Pourtant il flaira le vêtement léger qui gisait, comme une dépouille, sur le dossier d’un fauteuil bas… À combien de partenaires, hommes ou femmes, avait-il déjà servi ? Il ne sut pas si l’idée l’écœurait, ou l’excitait ; finalement il se décida pour le dégoût, et rageur alla s’étendre, attendant Monique.

Elle vint, drapée d’une robe prune, où des ibis blancs becquetaient des roses. Mais il ne voyait sous l’étoffe molle que le jeu souple de son corps. Silencieux, il suivait les gestes méthodiques, accomplis avec une gravité qui l’irritait. Il détesta Monique, son air absent, la distante impassibilité qu’avait pris son visage d’idole, en aspirant, longuement, la première pipe.

Elle s’était aussitôt renversée avec une si étrange expression d’extase, qu’il avait cru voir passer, dans ses yeux enivrés, le cortège lubrique de toutes ses jouissances passées. Une haine sourde l’avait alors soulevé, qui éclata lorsque, obligeamment, elle voulut cuire, pour qu’il y goutât, une seconde boulette.

Il lui arracha brutalement l’aiguille, la jeta sur le plateau, qu’il bouscula d’un poing colère, en l’envoyant promener au milieu de la pièce. Les pipes roulèrent, la lampe s’éteignit.

Elle n’eut que le temps de murmurer : « Qu’est-ce que vous faites ! »