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la garçonne

souriait en songeant, sans déplaisir, à sa robuste musculature…

Ce soir-là, comme ils passaient, rue Pigalle, devant les fenêtres aux volets clos de sa garçonnière, Monique instinctivement avait ralenti le pas. Il savait qu’elle possédait, dans ces environs, un petit logis personnel, réservé à son vice : la fumerie… Aux yeux de Boisselot c’était la seule tare de Monique, celle qui dégrade, parce qu’elle abrutit. Le reste : sa liberté de mœurs, il ne s’en préoccupait pas… C’était son affaire ! Même, commençant à en escompter quelque bénéfice pour lui-même, il l’eût plutôt approuvée…

Il avait immédiatement deviné, ayant surpris le coup d’œil qu’elle avait jeté sur le rez-de-chaussée. Et ricanant :

— Ah ! ah ! c’est là ?…

L’envie de s’arrêter l’avait tenaillé, et celle aussi de fuir. L’opium, et tout ce qui s’ensuit : son excitation artificielle, sa débauche à froid, lui répugnaient comme une chose pauvre, un divertissement d’impuissants, à côté de la beauté, de la santé du rut. En même temps l’image de Monique dévêtue, abandonnée, surgissait. Il avait hésité, immobile. Ses semelles étaient de plomb.

Ils n’échangèrent pas un mot. Ils se regardaient, complices. Et brusquement il la suivit, comme un toutou. Mais, à pénétrer dans la grande pièce où le lustre voilé ne donnait qu’un jour de cave, à respirer l’âcre relent de la drogue, Boisselot, maussade, avait senti ses obscurs griefs l’emporter sur son désir.

— On dirait un catafalque, grommela-t-il en désignant les tentures noires aux entrelacs d’or, et le