Page:Victor Margueritte - La Garçonne, 1922.djvu/218

Cette page a été validée par deux contributeurs.
216
la garçonne

pauvre, en pleurant, — « Je n’te fais pas de mal, au moins, quand j’souffre ? Quel malheur si fallait encore que j’te fasse du mal, toi qu’as déjà tant enduré !… » V’là ce qu’elle me racontait, monsieur. Aujourd’hui, y a plus qu’elle qui travaille… »

— C’est affreux ! dit Monique, bouleversée.

— Croyez-vous qu’après cela on puisse s’attendrir sur votre sort ? Vous êtes désœuvrée ? Tenez, voilà des peines à consoler !… L’adresse ? oui, je vous la donnerai… Moi, quand Julia a eu fini, je m’en suis voulu ! Comment n’avais-je pas senti tout de suite ce que cette épave contenait d’horreur, de résignation, de sacrifice ! J’ai regretté de ne pouvoir lui serrer la main, lui demander pardon de tout le mal que lui ont fait la bêtise et la méchanceté humaines !

Ils se turent. Sur eux pesait l’écrasant fardeau de la destinée.

— Vous avez raison, murmura-t-elle, avec une confusion de pitié, et de honte… On ne pense qu’à soi ! Je n’oublierai pas votre leçon.

Elle le regarda avec amitié. Il reprit au bout d’un moment :

— Si vous n’êtes pas capable de faire la sœur de charité, au moins travaillez, grattez !… Tenez, moi, mon papier, ça n’est pas une terre épatante !… Ça ne fait rien, je ne me décourage pas, je pioche…

Elle objecta :

— Soit ! Donnez-moi votre plume. Et je vous passe mes pinceaux.

— Non. Pas de pommade ! Je n’ai peut-être pas plus de talent que vous. Mais je crois à l’utilité de l’effort, pour l’effort. Tout le monde ne peut pas être Hugo ou Delacroix… Mais c’est déjà gentil d’être…