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la garçonne

flamme la gênait, Anika, qui avait profité de l’intermède pour se bourrer le nez, récrimina, avec une vivacité colère :

— Quand tu auras fini, de me fiche le phare dans l’œil !

Monique pensa : « Qu’est-ce qu’elle a pris ! » À la bavarde surexcitation de la cocaïne, à laquelle la violoniste essayait depuis quelques jours de la convertir, elle préférait le silencieux vertige de l’opium.

Refusant la prise que, radoucie, Anika lui tendait, elle aggloméra, en le pétrissant en boulette, un peu du résidu noir qui constituait, ce soir, tout son régal… Une fois de plus elle dînerait par cœur ! Mais le drops, trop dur, ne s’enroulait pas bien, en fondant au bout de l’aiguille. Il retombait, grésillait, sur la flamme. Elle parvint pourtant à arrondir suffisamment la lourde goutte, et, saisissant sa pipe, à garnir à peu près le fourneau…

Alors, portant le bambou à ses lèvres, elle tira avidement, d’une longue aspiration… La fumée était si âcre qu’elle la rejeta, la boulette consumée. D’ordinaire, quand l’opium était frais, elle avalait le capiteux poison, savourait le délice de le sentir entrer en elle, liquéfiant, presque instantanément, tout son être.

Elle reposa la pipe, se laissa aller sur les coussins, étourdie. Le relent dont l’atelier était saturé, ce fade et puissant parfum du baume noir l’avait saisie, la charriait, sous le souffle violent du premier effluve.

Anika s’exclama, avec un ricanement satisfait :

— Eh bien ! ma vieille !

— Ne crie pas ! supplia Monique. On dirait un train qui passe !