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couple suédois susceptible d’achats… Mais l’idée d’une politesse intéressée ! Et la vision du thé avec ses petites tables couvertes des éternels gâteaux, la rengaine des jazz-bands, la stupidité des papotages !

Une sauvagerie de plus en plus fréquente succédait à ses promiscuités avec ce monde dont elle était, et dont les Hélène, les Ginette et les Michelle — ministresses, bourgeoises ou marquises — ne valaient pas mieux, si même elles valaient autant, qu’une Carmen ou qu’une Irma.

Elle remit son chapeau, réendossa la jaquette de son tailleur. Elle en avait depuis quelques jours adopté l’uniforme, même le soir, ayant renoncé, — depuis sa dernière expédition, — à la coquetterie de ses toilettes. Elle n’avait ainsi qu’une agrafe à détacher, la jupe tombait. Et Anika l’aidant à se défaire de son corsage, elle était aussitôt prête, à l’aise dans la draperie du kimono, pour la cérémonie quotidienne.

« Je la trouverai certainement en train de fumer, se dit-elle. Elle doit avoir reçu sa drogue. Une bonne pipe !… Il n’y a encore que ça ! » Décidée soudain, Monique se rasséréna… Elle était dans une de ces périodes d’intoxication, où l’opium lui était nécessaire, comme l’air. Elle ne pouvait plus maintenant s’en déshabituer. Il fallait qu’elle respirât l’apaisante fumée, sinon elle étouffait. Une sueur d’angoisse lui glaçait la peau.

Souvent, cessant après des semaines ainsi englouties dans la légère ivresse, elle avait eu de ces symptomes douloureux. Elle avait alors réussi, par une reprise de volonté, à espacer les stances. Elle sentait bien qu’à prolonger l’abstinence, elle retrouvait, pour l’action, une lucidité en train de s’appliquer