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la garçonne

— Monique Lerbier est belle, autrement. Et elle est célèbre.

Elle ne répondait pas, perdue dans son passé. Il ajouta, non sans une ironie imperceptible :

— N’êtes-vous pas maintenant à égalité, avec les plus favorisés de ces hommes dont vous trouviez si injustes les privilèges ?

Elle eut envie de crier : « Que m’importe, puisque j’ai perdu au change tout le bonheur de vivre ? Je suis seule et sans but. L’humanité me dégoûte au point que je n’ai même plus l’envie, ni la force de lutter, pour quoi que ce soit ! Mais si vilaine que je la trouve, il n’y a personne encore qui me dégoûte autant que moi-même ! » Elle dit seulement, en montrant les pierres colossales :

— L’égalité ?… oui, dans le néant !… C’est ça, tenez, qui vous fiche une leçon !… Quel écroulement !

Les blocs épars reconstituaient, dans leurs pensées, les temples ruinés depuis des millénaires. Les dynasties et les peuples agitèrent leurs fantômes, au fond du gouffre immémorial. L’histoire confusément s’enchaîna, à travers l’espace et le temps. Des foules étaient nées, avaient souffert, étaient mortes. Et de ce tourbillon de poussière évanouie, voilà ce qui restait : des pierres insensibles, et un souvenir aussi décevant que l’oubli !

En hâte, elle lui serrait la main, le laissait sur place, rêveur. Il suivait d’un regard intrigué cette silhouette élégante qui s’éloignait, redressant la taille, le pas vif… Masque de crânerie, sur un visage de douleur. Et, philosophe, il poursuivit sa promenade.

Rentrée rue de la Boëtie, Monique tenta de travail-