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la garçonne

connu seulement de quelques initiés, pour sa cuisine exotique. Pimentée de curry et de poivres rouges, elle leur fit mieux apprécier le frappage d’un champagne sec. Coup de fouet, qui accéléra leur abandon…

Elles se laissaient aller aux fous rires qui les secouaient, comme deux gamines. Lady Springfield, reprise par sa marotte, tentait de convertir, à ses croyances d’au-delà, Monique rebelle. Mais celle-ci, entre deux bouchées, protestait :

— Non ! non ! Et non !… Tu as beau dire. Nous ne sommes qu’un agrégat de cellules, une matière qui, à la longue, après des millénaires de perfectionnement, a produit l’âme, comme la fleur produit le parfum… Mais l’âme et le parfum meurent tout entiers, quand la matière s’est désagrégée…

— Oh ! c’est sacrilège !

— Non. C’est rationnel. Je ne crois pas à la survivance de l’esprit, — excepté dans les formes que l’art et la science des vivants ont pu créer… Survivance elle aussi éphémère !… Quant aux esprits !… Ah ! non, s’ils en avaient seulement un tout petit peu, ils ne s’exposeraient pas à revenir faire un tour dans cette sale vie. Ils resteraient où ils sont !…

Elle montra une potée succulente que le garçon, un Cingalais au chignon tressé, apportait :

— Tiens ! dans les choux. Mais il n’y a pas d’esprits. Il y a des forces inconnues sur lesquelles influe peut-être notre intelligence comme elles influencent notre sensibilité.

— Yes, des forces surnaturelles !

— Non ! des forces naturelles. Nous ne les connaissons pas encore. On les analysera peut être un jour.