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la garçonne

— Eh bien ! chérie, puisque tu y tiens tant, voilà ce qu’on pourrait faire. Passez nous prendre, après dîner. Où ? Au restaurant indien, vous savez ? À Montmartre… Oui, c’est cela. Ensuite, on verra. Après tout elle sera peut-être enchantée. L’éducation se complète à tout âge… C’est ça !… Au revoir, chérie.

Elle raccrocha. À ses yeux las, l’étincelle que la proposition vicieuse avait allumée s’éteignit. Monique promena un regard d’ombre sur le petit salon, où naguère elle aimait à travailler, entre les visites. Les dessins inachevés gisaient, sous l’abattant du bureau Louis XV fermé. La pièce lui parut vide, vide comme la journée qui s’annonçait. Vide, comme l’existence…

Alors, bâillant plus fort, elle sonna. Mlle Tcherbalief montra son visage de slave volontaire, aux yeux d’acier.

— Je remonte, Claire. Ne me demandez pas. Je vais sortir, jusqu’au dîner.

— Mais le rendez-vous, avec Mlle Marnier ?

La dogaresse amatrice, — ayant troqué son argentier belge et son appartement rue de Lisbonne contre un businessman américain et un hôtel avenue Friedland, — renouvelait entièrement son mobilier.

— Vous lui direz… ce que vous voudrez. J’approuve tout d’avance. Bonsoir.

Elle regagnait, d’un pas traînant, son entresol, où — depuis Peer Rys, le député, l’ingénieur et le peintre, — aucun homme n’avait pénétré. La consultation du docteur Hilbour l’avait guérie des liaisons inutiles. Menant, comme elle l’avait dit à Mme Ambrat, la vie de garçon, — garçonnière comprise, — elle couchait, aux hasards de l’aventure. Le plus souvent