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Mme Ambrat et le professeur Vignabos avaient vu avec peine Monique s’éloigner d’eux, espacer les occasions de rencontre. Mais, après un dernier déjeuner rue de la Boëtie, où elle avait, dans un élan soudain d’expansion, vidé la poche à fiel, ils avaient fini par en prendre mélancoliquement leur parti.

Elle-même, depuis, avait senti un besoin de fuir leurs visages attristés, parce que clairvoyants. Le jugement de ces vieux amis n’avait pas eu besoin d’être formulé. Elle en devinait le reproche, d’autant plus sensible à son amour-propre qu’ils lui rappelaient, avec le souvenir de la disparue, les bons et les mauvais jours passés…

Jamais plus maintenant elle ne se retournait vers ce cimetière. Elle vivait uniquement le présent. Changement d’ailleurs apprécié par la plupart. Elle s’était mise à l’unisson, roulait, à niveau de leur bassesse. Boire, manger, dormir, et, pour compléter le programme des réjouissances tout ce qu’hommes et femmes ont imaginé, dans le possible des plaisirs et des vices. « Elle devient bonne fille », disait-on d’elle.

— Vous valez mieux que ça ! lui avait dit Mme Ambrat un jour qu’elle s’était malgré tout décidée à entrer, en passant devant les fastueuses vitrines, maintenant livrées au seul goût, d’ailleurs raffiné, de Mlle Claire.

Celle-ci avait pris la direction effective de la partie artistique. Monique s’en remettait à elle jusque du soin de faire établir, après indications sommaires, toutes les grandes décorations. M. Angibault, chef de la partie commerciale, assurait devis et recouvrements.

Debout devant Mme Ambrat, dans le petit salon de