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la garçonne

Assise sur un coin de sable, le dos contre une roche, Monique machinalement prenait à poignées, puis laissait filtrer, entre ses doigts ouverts, la fine pluie sèche… Ainsi fuyaient les heures, coulant, coulant sans cesse, au renversement du sablier… Néant du passé !

Elle regardait, sur le reflux bruissant de la marée, des goélands voleter. Leurs ventres blancs rasaient l’eau, puis, l’aile tendue, un essor brusque les emportait en flèche. Le soleil couchant entassait au large des palais de nuées… Ils croulaient, à mesure. Elle se dit : l’avenir ! Et découragée elle laissa retomber sa main… Elle ne voyait en elle et autour d’elle que solitude, et puis vieillesse.

Une chanson lointaine retentit. C’était quelque pêcheur ravaudant ses filets. La complainte égrenait ses notes graves, Comme un chapelet de résignation. Toute la misère et tout le courage des vies de matelots, en lutte contre les éléments… Monique eut honte, et se secoua.

— Je suis folle, se dit-elle en se relevant. Ne penser qu’à soi, c’est comme être aveugle ! D’abord, je ne suis pas sûre de n’être jamais mère. Et quand même ?… Mme Ambrat vit bien, pour les enfants des autres !…

Le lendemain, elle rentrait à Paris. Septembre et la nécessité de préparer sa saison d’hiver l’absorbèrent au point qu’elle ne trouva qu’aux premiers jours d’automne le temps d’aller se faire examiner, comme elle l’avait résolu… Mlle Tcherbalief, dont une parente avait souffert l’année précédente d’une maladie de femme, lui avait recommandé le docteur Hilbour.