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espoirs fondés sur sa membrure de taureau s’étaient évanouis. L’ingénieur n’était pas plus prolifique qu’un bœuf.

Un doute finit par inquiéter Monique. Si c’était elle la fautive ? Elle prit la résolution de consulter, puis remit le projet de semaine en semaine. Les heures passaient avec une brièveté de plus en plus bousculée, à mesure que les affaires, l’une amenant l’autre, augmentaient le chiffre de revenus, et en même temps, la somme nécessaire d’efforts.

Il avait fallu étendre aux magasins voisins, dont elle avait pu s’assurer le bail, la longue plaque de marbre vert, et sur l’enseigne triomphale encadrer des mentions : Décoration, Curiosités, la firme aux sobres lettres d’or.

Monique avait, sans regret, mis trêve aux sorties quotidiennes du soir. On ne la voyait plus dans les dancings et dans les music-halls. Toujours au travail à dix heures du matin, elle veillait tard, dessinant, coloriant ses maquettes, chaque fois qu’elle n’avait pas dîné en ville ou avec l’ami, dont après le député et l’ingénieur, elle attendait toujours, — sans y compter maintenant beaucoup, — l’enfant qui recommencerait, en la réussissant, son expérience manquée.

De la victoire mondaine elle ne jouissait en effet qu’autant que celle-ci réalisait, en la consacrant, son indépendance matérielle. Le monde acceptait, de Monique Lerbier renommée et gagnant avec éclat sa vie, ce qu’il lui avait reproché, obscure et pauvre.

Ce consentement, fait de platitude et de servilité, ne lui apportait qu’une satisfaction : celle de pouvoir — (sans l’estampille d’un compagnon, et d’un répondant) — mettre au monde, librement, un être libre, et