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IV

Ce furent quelques semaines d’entier bonheur. Avec fierté, Monique jouissait de sa liberté plénière, enfin conquise. Le plaisir sans restrictions qu’elle commençait à connaître donnait à sa jeune soif de volupté un apaisement jamais las.

Jusqu’ici un sentiment confus d’infériorité, une rancune de soumission lui avaient, dans les bras qui l’avaient cru posséder, gâché la violence de ses sensations, si vive qu’elle avait pu être.

Ces hommes dont elle avait accepté ou désiré l’étreinte, elle s’en était toujours, au moment suprême de l’abandon, sentie la sujette, puisque d’eux, plus que d’elle, dépendait la possibilité créatrice à laquelle elle se refusait encore.

Minutes enivrantes, mais précaires, auxquelles sa volonté de s’arracher, parfois même avant l’instant de leur perfection, non seulement enlevait de leur prix, mais ajoutait une amertume, insatisfaite. Elle se sentait profondément humiliée à l’idée que de ces passants, dominateurs d’une seconde, toute sa personne dépendait, jusque dans l’avenir…