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Comment, trois heures après, dans l’atelier d’Anika Gobrony, Monique se retrouvait-elle en train de souper, assise entre Peer Rys et Ginette Hutier, tandis qu’en face de la violoniste trônait M. le ministre des Transports, flanqué d’Hélène Suze et de Michelle d’Entraygues ? Max de Laume, Pierre des Souzaies et Cecil Meere complétaient cet ensemble inattendu…

Elle ne se le demandait pas, tout à l’amusement de découvrir en son voisin, redevenu le plus correct et le plus élégant des Argentins, un compagnon d’une gaieté et d’une simplicité d’enfant.

Anika, tandis que M. Hutier faisait silencieusement sauter, avec une gravité de maître d’hôtel, le bouchon de la neuvième bouteille de champagne, s’était levée pour aller éteindre le lustre central et jouer au piano une marche tchèque. Les cheveux courts, avec son brun visage ardent et sa gorge plate, elle faisait, dans son immuable sarrau de velours incarnat, songer à quelque ange démoniaque.

Hélène Suze et Michelle d’Entraygues, ayant réclamé un shimmy, aussitôt s’enlacèrent. Pierre des Souzaies et Cecil Meere, suivant l’exemple, tournoyaient en sautillant. Max de Laume, la bouche à l’oreille de Ginette, lui coutait de telles horreurs qu’elle en gloussait d’aise, tandis que Son Excellence, laissée à elle-même, buvait coup sur coup, d’un air béat. M. Hutier, tout en considérant avec sympathie le couple suggestif que formeraient Antinoüs et sa femme, souriait au souvenir de la fustigation qu’il s’était fait administrer la veille, chez Irène, par une solide gaillarde… Les verges de bouleau, alternant avec une fine cordelette à nœuds, il n’y avait que cela !…