Page:Victor Margueritte - La Garçonne, 1922.djvu/154

Cette page a été validée par deux contributeurs.
152
la garçonne

fermes, leurs pointes dont le rose, sur la rondeur veinée, avait foncé jusqu’au carmin. Puis, descendant le long du torse musclé et du ventre plat au galbe des hanches, dont les longues jambes élançaient l’amphore, elle suivit, comme si elle le dessinait, le contour des cuisses. Elle évoquait, dans une souriante comparaison, les lignes si pures du danseur nu.

N’avait-elle pas, comme lui, un corps de gymnaste d’où la Beauté naissait, d’un rythme naturel ? Elle ne connaissait pas plus que lui les vaines complications de la pudeur… Masque de la laideur, ou de l’hypocrisie… Mais, supérieure à lui, elle portait, dans sa chair de bel animal, une âme qu’il n’avait pas…

Une joie orgueilleuse la soulevait, à l’idée de son dédoublement… Les hommes !… Elle sourit, dédaigneuse. À force de l’avoir voulu, elle était devenue, physiquement et moralement, leur égale. Et cependant elle avait beau ne pas se l’avouer, il y avait, dans l’âpreté de sa revanche, un sentiment informulé… Solitude ? Stérilité ?… Elle n’en ressentait pas encore, précisément, l’atteinte. Mais le ver invisible naissait, dans la magnificence du fruit.

Une lente, minutieuse toilette, et à onze heures, vêtue seulement d’une robe-chemise en lamé d’argent, d’où le buste et les bras émergeaient, offerts, tandis que la lourde étoffe sur tout le reste plaquait, elle était prête. L’auto de Pierre des Souzaies cornait, justement, sous ses fenêtres…

Ils firent une entrée sensationnelle. Lui long et mince dans un habit puce, avec son visage fardé de mignon, aux méplats à la Clouet. Elle entourée aussitôt, par une véritable cour. Lucienne Marnier venait au-devant d’elle, royale, dans son éclat roux de