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eût volontiers prolongé le jeu, il suffisait qu’elle perçût l’approche du spasme créateur pour que, volontairement, elle s’y dérobât, d’une secousse adroite.

Jusqu’ici, — après ces rencontres dont le péril, après avoir été un piment de plus, commençait à la décevoir, — elle n’avait gardé qu’une indifférence un peu moqueuse pour ceux qui en avaient été moins le sujet que l’objet. Elle souriait, à la surprise ou à la mauvaise humeur dont, remerciés sans retour, ils accueillaient le congé.

Ce renversement des habitudes et des rôles, Monique ne leur laissait aucun doute sur leur utilité secondaire, leur causait une humiliation ou une irritation qu’ils déguisaient mal. Il leur fallait bien, devant leur fuyante adversaire, s’avouer battus, et, la proie perdue, la regretter. Petites revanches qui, d’abord, avaient flatté sa tenace rancœur…

Elle avait fait, résolument, deux parts de son existence. Celle des distractions, — la plus courte et la moins absorbante — et celle du travail, sa vraie vie. Si tard ou si tôt que ce fût, elle rentrait, toujours seule, rue de la Boëtie.

Jamais elle n’avait laissé franchir le seuil de son logis personnel à d’autres qu’à de vrais amis, comme Mme Ambrat ou le professeur Vignabos, qu’elle invitait parfois, de temps à autre. Tous les matins, même quand parfois elle découchait, elle descendait, à dix heures, de l’entresol où elle habitait, au magasin que Mlle Claire avait déjà fait mettre en ordre et paré, pour la vente quotidienne.

Le Chardon Bleu, depuis l’éclatant succès de la pièce de Perfeuil, était lancé. Cent cinquante représentations et la réclame du programme avaient mul-