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en elle une sensualité froissée à l’instant de naître, avaient laissé scellée, au fond de son cœur, la sentimentalité d’autrefois. Bien morte, croyait-elle. Elle aimait, pour cette analogie, les vers du pauvre et profond Seurat, un des jeunes poètes fauchés par la guerre. Âme tendre qu’elle chérissait…

Cœur de plomb où l’amour pourrit avec l’orgueil.
Sous les raides linceuls de bois jaune et d’ébène…

Mais elle était, en même temps, riche de trop de sève pour que ce qui ne bourgeonnait plus d’une sorte, ne jaillit pas d’une autre. Ainsi le plaisir l’avait amenée, peu à peu, à une demi révélation de la volupté. Minutes brèves, et au fond décevantes. Pourtant ces baisers, où la tendresse apitoyée se mêlait au trouble attrait d’une découverte, ne lui répugnaient pas. Sous le visage de la consolation, celui de la jouissance était confusément apparu. Monique gardait à Niquette la reconnaissance de ne lui avoir apporté l’une qu’après l’autre, en ne lui découvrant que petit à petit, sous la délicatesse de l’amie, la fougue de l’amoureuse…

Elle tournait, le regard perdu. Elle était si étroitement enlacée que serrant une jambe de Niquette entre les siennes, elle sentait onduler en elle le mouvement de la danse. Un Argentin qui les croisait, narquois, eut un clappement : « Eh bien ! »… Niquette éclata de rire :

— On se passe bien d’eux !

Monique approuva, d’un abaissement de cils. Cependant, tout en éprouvant toujours, aux heures de leur abandon, le même agrément, elle commen-