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Mais tout le monde avait boudé. Monique, — qui, en dehors de Mme Ambrat, le dimanche, ne voyait plus personne, — avait alors passé des jours noirs. Le marasme général des affaires ajoutait à sa neurasthénie. Elle restait des semaines à se morfondre, sans voir que des passants : ils marchandaient beaucoup, et déboursaient peu. Les ressources, passées presque entières aux achats de fond, diminuaient si vite qu’elle commençait à désespérer.

Cependant, l’autorité mondaine de Pierre des Souzaies, doublement réputé comme antiquaire amateur et comme inverti, était grande. Sa clientèle ordinaire se refusant, il avait un jour rabattu Niquette sur Monique, et, du coup, la rue de la Boëtie avait trouvé un achalandage artiste et cosmopolite. Les installations de Mlle Lerbier devenaient à la mode.

Une personnalité neuve avait alors surgi, qui, différente et entourée d’une atmosphère de succès, faisait oublier la « déclassée » de naguère. Poussé par le bouillonnement des ondes nouvelles, le cercle purulent des vieux potins achevait de s’effacer, sur la grande mare.

Niquette sentit posée sur Monique et sur elle, comme une piqûre de mouche, l’attention d’Hélène Suze. Elle la dévisagea :

— Qu’est-ce qu’elle a à nous reluquer, celle-là ? Tu la connais ?… Regarde… Dans la loggia, à gauche.

Monique repéra aussitôt, et dédaigneusement :

— D’anciennes amies.

Elle les nomma. En même temps, Hélène Suze mimait : « Bonjour ! » d’un air de surprise joyeuse. Monique y répondit par un vague salut. Elle mesu-