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la garçonne

— Vous n’auriez pas admis…

— Qui sait, si vous m’aviez expliqué !… Je vous aimais, j’aurais tâché de comprendre.

Il vit, du fond de sa chute, le pont effondré. Mais se défendant encore :

— Peut-être !… J’aurais dû sentir que vous ne ressemblez pas aux autres… que vous êtes une créature unique !

— Ne le croyez pas. Nous avons toutes soif de franchise et de propreté.

Il réfléchit :

— Pourtant, il y a des cas — le mien ! — où le mensonge est une intention pieuse… D’autres où il est une précaution nécessaire.

Elle railla :

— Vis-à-vis des femmes ?

— Et des hommes, compléta-t-il,

— Allons donc ! Vous mentiriez à un de vos associés, en affaires ?

— Ce n’est pas la même chose.

Elle oublia sa propre souffrance. Elle s’élevait jusqu’à la douloureuse compréhension de l’immense drame qui oppose, depuis des siècles, l’esclavage des unes au despotisme des autres… Toute la révolte féminine s’indignait en elle. Elle s’exclama :

— C’est cela ! Vos deux morales ! Une à l’usage des maîtres. L’autre bonne pour les servantes.

— Il y a une différence…

— Il y a cette différence que pour nous le mariage et l’amour sont plus importants que pour vous la plus grande affaire. C’est toute notre vie !

— Il y a une mentalité différente, si vous préférez…