Page:Victor Margueritte - La Garçonne, 1922.djvu/110

Cette page a été validée par deux contributeurs.
108
la garçonne

saisis pas le recours que je t’offre. Une occasion magnifique, inespérée, de nous tirer tous de là…

— Voyons.

Il toussa.

— Hem !… Le baron Plombino a toujours eu pour toi un sentiment très vif. Quand il m’en a parlé, tu étais déjà engagée avec Lucien. Mais hier soir précisément, il est revenu à la charge… « Si jamais ce gaillard-là ne faisait pas le bonheur de votre fille, je retiens la place… No 1… » C’est tout ce qu’il y a de ne plus sérieux… Qu’en dis-tu ?

— Tu as fini ?

Le cœur soulevé, Monique évoquait le juif à l’affût, avec sa gueule d’hippopotame. Elle sentait s’abattre sur elle la lourde patte, molle et moite…

— Non ! Je te rappelle que si, par certains côtés, le baron ne représente pas… l’idéal, tu n’as pas le droit, tu entends, pas le droit de te montrer difficile ! Mariée, baronne, et plus d’un million de rentes, cela vaut mieux que d’être fille-mère, ou de te faire avorter… Cela concilie tout : avantages et morale.

Monique était pétrifiée : son père, ce trafiquant immonde !… Il attendait, complaisamment, avec la conviction d’avoir énoncé une vérité sans réplique. Elle dit enfin, à voix basse, mais en le regardant en face :

— Tu me dégoûtes !

Il sursauta, et se précipitant sur elle :

— Tu dis !

— Que j’en ai assez ! Ça, le mariage ! Ça, la morale ! Adieu. Nous ne parlons pas la même langue.

— Tu n’es qu’un monstre ! Je te renie ! Tu n’es plus notre fille…