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LIVRE I. — CHAPITRE III.

Diogène, auquel nous empruntons la plus grande partie du résumé qui va suivre, ne fait aucune distinction entre Pyrrhon et Timon. Suivant sa coutume, c’est la doctrine générale des pyrrhoniens qu’il expose sous le nom de Pyrrhon, sans distinguer ce qui appartient au maître de ce que les disciples ont pu y ajouter. Il en est de même d’Aristoclès dans le fragment que nous a conservé Eusèbe[1].

II. Aristoclès[2] résumait en ces termes la doctrine de Pyrrhon : « Pyrrhon d’Élis n’a laissé aucun écrit, mais son disciple Timon dit que celui qui veut être heureux doit considérer ces trois points : d’abord, que sont les choses en elles-mêmes ? puis, dans quelles dispositions devons-nous être à leur égard ? enfin, que résultera-t-il pour nous de ces dispositions ? Les choses sont toutes sans différences entre elles, également incertaines et indiscernables. Aussi nos sensations ni nos jugements ne nous apprennent-ils pas le vrai ni le faux. Par suite nous ne devons nous fier ni aux sens, ni à la raison, mais demeurer sans opinion, sans incliner ni d’un côté ni de l’autre, impassibles. Quelle que soit la chose dont il s’agisse, nous dirons qu’il ne faut pas plus l’affirmer que la nier, ou bien qu’il faut l’affirmer et la nier à la fois, ou bien qu’il ne faut ni l’affirmer ni la nier. Si nous sommes dans ces dispositions, dit Timon, nous atteindrons d’abord l’aphasie, puis l’ataraxie. Douter de tout et être indifférent à tout, voilà tout le scepticisme, au temps de Pyrrhon comme plus tard. Époque ou suspension du jugement, et adiaphorie, ou indifférence complète, voilà les deux mots que toute l’école répétera ; voilà ce qui tient lieu de science et de morale. Examinons d’un peu plus près ces deux points.

Pyrrhon n’a pas inventé le doute, car nous avons vu, bien avant lui, Anaxarque et plusieurs mégariques tenir la science pour impossible ou incertaine. Mais Pyrrhon paraît être le premier qui ait recommandé de s’en tenir au doute sans aucun

  1. Præpar. Evang., XIV, xviii, 2.
  2. Ibid.