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SIX ANS AUX MONTAGNES ROCHEUSES

avec curiosité venir son nouveau maître  ; la remise contenait une voiture légère à quatre roues, appelée buggy et un traîneau  ; puis le poulailler, vide alors, mais qui fut bientôt largement peuplé. Autour de l’église et du presbytère s’étendait un terrain de quelques hectares en partie traversé par un gros ruisseau aux eaux limpides et poissonneuses, qui devient au printemps une petite rivière.

Le P. Dethoor, habitué à la vie de missionnaire, alluma du feu à la cuisine et prépara un frugal repas  ; vers trois heures il reprit le chemin de Missoula et je restai seul dans ma maison et désormais chez moi. «  Étrange destinée, pensais-je en moi-même  ; je suis venu en Amérique pour être missionnaire et me voilà curé  ; — pour vivre et mourir au milieu des sauvages, et me voilà dans une paroisse quasi-européenne  !   » C’était en effet par suite de circonstances tout à fait inattendues que ma situation se trouvait ainsi fixée. Quinze jours auparavant, Mgr Brondel, évêque d’Héléna, avait dû envoyer d’urgence à Butte mon prédécesseur {M.}} Allaeys pour y occuper un poste vacant. N’ayant pas sous la main de prêtre parlant français en même temps qu’anglais (et il faut parler français à Frenchtown à cause des nombreux Canadiens qui s’y trouvent), il s’était adressé au Supérieur de la mission qui m’avait aussitôt désigné pour ce poste en s’excusant de me reprendre ainsi par nécessité à mes chers Indiens.

J’en étais là de mes réflexions solitaires, lorsque j’entendis un coup de sonnette : c’était une bonne Canadienne, d’aspect vénérable, qui m’apportait des beignets. On cause un peu et je remercie. À peine m’avait-elle quitté, qu’un second coup de sonnette me rappelle à la porte : c’était un homme cette fois, le charpentier du village qui m’apportait lui aussi de la part de sa femme des beignets